Le temps a filé, les jours, les années et même plus de deux décennies. Un quart de siècle. C’était un 28 octobre. Cette date je la portais sur mon calendrier cette année un peu comme on arbore un fleuron à la boutonnière. Il s’agit d’un jalon significatif dans ma vie dont j’étais fière et en même temps une date empreinte d’une toute relative gravité. Non comme un poids étouffant mais juste assez pesant pour marquer le sérieux. Cette date, qui pourrait sembler anecdotique, porte en elle une certaine solennité.
Un quart de siècle ! Tout à coup j’ai l’impression de ne pas avoir saisi l’ampleur du temps qui s’est écoulé.
En effet, il y a 25 ans, un 28 octobre, j’arrivais au Québec comme immigrante avec mon mari et notre fille d’un an et demi. Je me souviens des premiers jours, du choc culturel, des ‘’premières fois’’, de l’accueil chaleureux d’amis qui nous ont accompagnés dans nos premiers pas en terre québécoise.
L’accueil est si primordial pour ceux qui arrivent…
Dans mon activité de consultante en Interculturel c’est un point du processus d’intégration auquel je suis très attentive dans l’accompagnement. Quand cela est possible, je veille à accueillir avec attention et convivialité, tant mes clients que de nouveaux arrivants avec qui je suis en contact. Il s’agit en effet d’un moment charnière, d’une expérience dont la couleur teintera le reste du cheminement d’intégration.
Il y a 25 ans, je me souviens d’avoir lu pour la toute première fois Émile Nelligan qui m’était inconnu grâce à mon amie Cécile B. qui nous recevait. Merci à elle, grâce à la chaleur de son accueil, sa délicatesse et ses attentions nos débuts ont été rassurants et harmonieux. Ces premiers jours ont teinté positivement le reste de notre immigration. Cécile est repartie du Québec quelques années après, mais je suis encore reconnaissante pour la qualité de son accueil qui a fait toute une différence pour nous.
Il y a 25 ans, je me souviens d’avoir découvert Outremont juste avant Halloween paré de ses plus belles décorations, je me souviens de la première neige… Je garde un souvenir ébloui de toutes nos premières fois, de cette curiosité candide et de l’émerveillement face à ce nouveau territoire et la juxtaposition de ses cultures.
Et puis, je me souviens aussi du jour où j’ai pris conscience que j’avais retrouvé mes marques, que mon sens de l’orientation avait repris le dessus, que j’étais enfin capable de me situer dans la ville. Le temps des premières fois s’effaçait. Je prenais ma place dans ma nouvelle vie. Je devenais peu à peu montréalaise, un peu québécoise. Le temps de la lune de miel s’achevait, j’entrais dans l’immigration de plein pied. Le reste fait partie de l’histoire.
Je me remémore ces 25 ans avec nostalgie, certaines étapes cruciales et fondatrices de mon histoire intime, de l’histoire familiale. Notre premier appartement, mon premier poste de directrice des communications, des relations si différentes au travail autant que dans la vie sociale. Notre court séjour à Betsiamites sur le territoire innu et du début de notre conscience par rapport aux Autochtones. De notre premier été en Gaspésie, du road trip sur la Côte nord jusqu’à Natashquan mon grand coup de coeur, de celui encore plus lointain dans les Rocheuses jusqu’à Vancouver. Je me souviens de la naissance de notre deuxième fille (la première Canadienne de la famille) à Ste Justine loin de ma famille et de mes amis de toujours. Je me souviens avec infiniment de reconnaissance du projet de livre Nunavik, Québec inconnu, photos de Mario Faubert, que j’ai dirigé avec les éditions Du passage à Montréal en collaboration avec Makivik organisme Inuit qui m’a permis de m’ouvrir à une réalité dont j’ignorais tout.
Je me souviens aussi du choc en rentrant en France pour la première fois pour des vacances après notre immigration. Je n’avais pas envisagé l’ampleur du choc. Même si j’avais auparavant vécu à l’étranger (en Italie et aux Pays-Bas) il s’agissait encore de l’Europe.
Mais vivre au Québec était une expérience d’un autre ordre. C’était être en terre d’Amérique. Il était clair que j’avais changée et que j’avais intégré du Québec ce qui me correspondait et j’avais estompé une certaine part culturelle de la France. Mon intégration au Québec a bouleversé ma vision du monde, ébranlé certaines de mes convictions et en a consolidé d’autres. Bref, le premier retour en France a été pour moi assez confrontant et instructif. Décidément, vivre à l’étranger nous change à jamais !
Vingt-cinq ans plus tard, je suis hybride et plurielle comme tous ceux qui ont vécu l’expérience intime de vivre ailleurs que dans leur pays d’origine. Une part de moi est attachée à la France, plus particulièrement au Sud, et une autre chérit le Québec pour son côté lumineux et les possibles qu’il offre aux nouveaux arrivants.
Je suis reconnaissante au Québec de nous avoir accueillis. Il faut que je souligne que l’aspect le plus attachant du Québec pour moi en est sa diversité. Cette mixité d’origines, ce métissage culturel qui nous enrichit et fait du Québec une société distincte! Si la route n’a pas été un long fleuve tranquille, vivre ici m’a fait grandir comme humaine.
Nous ne savons pas de quoi l’avenir sera fait, cependant c’est dignement que j’ai célébré ce quart de siècle. Je suis d’ici et d’ailleurs, plus tout à fait française mais pas vraiment québécoise. Je suis multiple et pleine de paradoxes. Je suis riche de ces pluriels qui se sont rencontrés et ajoutés. Je suis interculturelle. J’ai la conscience aiguë de faire partie de ceux, de plus en plus nombreux, qui ont le cœur morcelé sur plusieurs territoires, les cultures métissées et qui positivement participent, de par leur diversité, au métissage interculturel du monde. Cette expérience indéniablement enrichit et étaye ma pratique en interculturel !
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